L'histoire d'une famille d'agriculteurs en France
Depuis au moins 5 générations ma famille cultive et élève des bovins dans les plaines d’Artres. Ces générations ont connu de nombreux événements économiques et politiques qui ont façonné leur histoire. La société a évolué et l’agriculture (pratiques, techniques, environnement socio-culturel) a suivi parallèlement.
Je vous propose de découvrir l’histoire de mes aïeuls à travers l’évolution de l’agriculture française.
Au début du XIXème siècle, le travail de la terre n’était pas encore considéré comme une profession à part entière. Dans la campagne, beaucoup cultivent la terre, sur de petite surface, pour subvenir à leurs besoins et mènent souvent un autre activité professionnelle en complément. Il existe une forte disparité sociale entre paysans (propriétaire, simple fermier…) et une grande différence de culture au sein des régions.
Le grand-père de mon grand-père, Constant Lussiez possédait une ferme de l’ordre de quelques hectares. Il est également bourrelier, un artisan qui travaille les peaux tannées des animaux.
A la fin du XIXème siècle s’opère une professionnalisation de l’agriculture. Des structures permettant d’encadrer l’agriculture et d’établir un pouvoir de négociation sont créés, le ministère de l’agriculture et le syndicalisme agricole. Le tissu agricole est dense et l’attachement au terroir fort.
Après la première guerre mondiale, une modernisation des fermes est entreprise. L’électricité est amenée dans les campagnes, des bâtiments sont construits et les exploitations s’agrandissent. L’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires s’élèvent et la mécanisation se développe.
Ma mère, Béatrice Lionne-Lussiez est née en 1957 durant l'époque des premiers grands remembrements. Les agriculteurs sont contraints, pour dégager un revenu et survivre, de produire toujours plus. La logique productiviste dégage des excédents et engendre la vente sur les marchés extérieurs. La productivité ne suffit cependant pas à compenser les coûts de productions. L’état intervient et met en place une limite de l’offre, les quotas, compensée par des aides directes. Les quotas permettent le maintien des exploitations familiales. Les agriculteurs deviennent de plus en plus dépendant des aides directes fournies par la PAC (politique agricole commune) mise en place en 1962 pour contrôler les prix et subventionner l’agriculture.
Tout est fait manuellement et nécessite donc de la main d’œuvre. Ses 7 enfants sont mis à contribution. Cependant, la seconde révolution industrielle et la mise en place des traités de libre-échange entrainent une crise agricole. L'arrivée de la première guerre mondiale n’améliore pas l'état de la crise, puisque 3 millions d’agriculteurs ainsi que les chevaux et le carburant sont réquisitionnés aux champs de bataille. 600000 agriculteurs ne reviendront pas. L’agriculture ayant fondé son développement sur la main d’œuvre, elle s’effondre, provoquant la nécessité d’importations.
Les agriculteurs étant moins nombreux, ils perdent de l'influence politique et l’intérêt des autorités publiques. C’est le début de la course au rendement, les trente glorieuses. On a besoin de nourriture pour tous en quantité et peu chère. Les exploitations se spécialisent dans des productions pour être plus rentables. Mais la déflation sur le marché mondiale touche les produits agricoles et par conséquent le revenus des agriculteurs.
Les normes sanitaires deviennent alors beaucoup plus exigeantes. Mes parents doivent donc arrêter la production de fromage, de poule et de lapin car la mise aux normes sanitaires a un coût trop élevé pour une exploitation non spécialisée dans une production. Ils arrêtent également la production d’endive, de betterave sucrière et d’autres productions qui ne sont plus rentables. Ils s’orientent vers l’élevage de vaches charolaises qui sont des vaches à viande. Les agriculteurs maîtrisent de moins en moins les débouchés de leurs productions. De plus, la PAC baisse les prix agricoles pour ouvrir le marché français au marché mondial et compense par des aides directes provoquant une dépendance des agriculteurs et un renfort des contrôles pour bénéficier de ces aides. Cela permet à l’Europe de meilleures négociations.
de relocaliser mes productions vers les marchés locaux.
De nouvelles demandes de la part de la société ont émergées. Les consommateurs veulent manger des produits de qualité à un prix raisonnable. La mise en place de labels et de contrôles d’appellation permet de résister à la pression des marchés extérieurs en relocalisant les productions.
1ère génération : début XIX siècle
2ème génération : fin XIX siècle
Le père de mon grand-père, Eugène Lussiez né en 1877, possédait une propriété de 25 hectares acquise tout au long de sa vie. C’est une ferme en polyculture-élevage avec 12 vaches laitières de race bretonne pie noire. Le beurre, la crème, le lait et le fromage-blanc sont transformés sur place. Il pratique également l’engraissement de taureaux et la vente de semences, tourteaux de soja et blé. A cette période, l’agriculture est diversifiée, familiale et manuelle. Mon arrière grand-père laboure grâce à des chevaux.
Photo de gauche à droite : Olga (fille de Eugène Lussiez); Jean-Marcel (fils d'Olga); mari d’Olga (derrière); Cécilia Malaquin; Jean Lussiez (derrière); Eugène Lussiez
Photo de gauche à droite : Marie Hombert-Carron (mère de ma grand-mère Léone Lussiez) bouchère; vache de race Bretonne Pie Noire; mari de Marie et agriculteur
3ème génération : début XX siècle
Mon grand-père, Jean Lussiez né en 1925, hérite en 1949 d’une partie des terres de son père. Mon grand-père détient 12 vaches laitières Bretonne Pie Noire. La traite quotidienne des vaches s’effectue en pâture. Il cultive des betteraves sucrières qu’il vend à la sucrerie d’Artres, des betteraves fourragères, de l’avoine, de l’orge, du blé et pratique l’association de cultures. Mon grand-père a connu la transition entre le travaille aux champs avec des chevaux et l’arrivée des tracteurs. Après la seconde guerre mondiale, la production industrielle est soutenue. Le changement de société et de mentalité favorise l’exode rural (l’ouvrier agricole devient ouvrier d’usine industrielle) et les exploitations concentrent plus de terres.
Photo : Jean Lussiez, mon grand-père avec son tracteur de la marque someca
Photo : Léone Hombert-Lussiez, ma grand-mère avec son cheval de trait
4ème génération : fin XX siècle
Mes parents s’installent en 1977. Ils commencent l’engraissement de bœufs. Malgré la tendance à la spécialisation des exploitations, la ferme reste diversifiée. Ils possèdent un poulailler, produisent du fromage blanc, élèvent des lapins, des dindes et des pigeons, cultivent des endives, betteraves sucrières et de la pomme de terre.
Les mentalités changent. C’est l’essor de l’industrie agro-alimentaire marquée par un changement de consommation vers le plus facile à cuisiner. Cela oblige la filière à s’adapter à des processus de productions toujours plus standardisés et industrialisés.
Photo : Jean-Charles Lionne, mon père dans sa moissonneuse-batteuse de marque someca
5ème génération : début XXI siècle
Dans ce contexte de forte dépendance aux aides et d’un salaire incertain dû aux cours mondiaux agricoles, j’ai (Stéphanie Lionne) choisis